Sa soeur secrete (2106)

I wrote and presented this short text in French (my first time!) for a symposium on Iris Häussler, D'autres gestes : usage des patrimones #2, at the Villa Vassilief in Paris, May 14, 2016.

For the final story, see “Intrapsychic Secrets”

Sa sœur secrete

Ce que m’intéresse dans le cas de Sophie La Rosière est la question du secret. Qu’est-ce qu’un secret? Et peut-il être un seul? Qu’est-ce qu’un secret qu’on ne peut pas connaitre, que même la personne qui le possède ne peut pas connaître? En ce qui me concerne, je me demande si la séparation entre Sophie et Florence est l’unique raison qui pousse Sophie à recouvrir ses peintures, à les emmurer—épisode de libération érotique qui doit être caché, qui doit rester secret. Plutôt, je pense que les toiles de Sophie sont déjà une couverture—en soit—qui cache un autre secret, plus ancien. Les deux secrets constituent une crypte. Désormais abandonné, comme une tombe également, l’atelier de Sophie a en quelque sorte toujours été une tombe. Etre caché, c’est la raison de ce projet. Cela détermine tout son processus.
    Dans ce projet on doit faire une chronologie qui mélange les faits réels—par exemple, l’histoire des soeurs Smith—et le récit fictif—l’histoire de Sophie. Il faut que l’histoire de Sophie soit plausible. Il faut également que ses connections avec les soeurs Smith soient plausibles. Mais quelque fois on se doit d’intervenir d’une manière peut-être un peu déraisonnable mais nécessaire afin que l’histoire de Sophie reste logique—une logique que le récit officiel (le chronologie que Iris Häussler et Catherine Sicot proposent) n’explique pas. Selon moi, le récit demande que Sophie ait eu une soeur ainée. La soeur secrete. Sa soeur n’a pas de nom, elle a seulement une fonction, comme dans les récits structuralistes folklorique de Troubetsky ou l’anthropologie structuraliste de Lévi-Strauss.
    Le vrai secret, ce n’est pas celui de Sophie—c’est le secret de la soeur … et du père … et de ce que Sophie a vu se passer entre les deux. Pour rendre l’histoire courte, je modèle mon hypothèse sur les théories de cryptonymie de Nicholas Abraham et Maria Torok dans leur livre Cryptonymie: Le verbier de l’Homme aux loups et d’autres écrits. Selon l’exemple de l’Homme aux loups, le père séduit la soeur de Sophie, et la soeur reproduit la séduction sur Sophie. C’est le moment où Sophie va construire son tombeau, fait de l’insupportable contradiction entre plaisir et interdit: son ego idéal (son père) ne peut pas lui avoir fait ça! Maintenant, on n’a plus besoin de Madeleine Smith—ou d’une hypothétique relation sexuelle entre les deux —pour introduire Sophie à l’homosexualité. Et le couvent? Qui l’a envoyé au couvent ? Les parents—pour la protéger de Madeleine ?—ou la mère—pour protéger Sophie de son père ? Pour Sophie le couvent aussi est une crypte: une combinaison de libération et d’interdits. Le couvent est le prédécesseur de l’atelier dans ce sens.
    La crise issue de la séparation de Sophie et Florence n’est pas celle qui a besoin d’être recouverte. Le recouvrement des peintures est un retour sur la première crise. La seconde crise n’a pour unique rôle que le renforcement de la construction de la crypte originelle — le secret originel que Sophie elle-même ne peut pas consciemment connaître. Mais en recouvrant ses peintures, ce n’est pas sa relation secrète avec Florence qu’elle cache. Ce qu’elle cache, c’est son secret de famille—et notamment la relation interdite avec sa sœur. (Je ne dit pas ici que la relation entre les deux est poursuivie; une fois était assez.) Seul le recouvrement peut venir complèter un processus qui avait commencé avec la création des peintures.
    Le secret est quelque chose que Sophie elle-même ne peut pas connaitre—elle ne peut pas sans s’exposer à rendre son tombeau encore un plus impénétrable. Iris Häussler elle même, ne connaît pas ce secret. Seule la logique implicite de ce récit confronté à la logique des peintures et de leur recouvrement explique ce bizarre secret.